les carnets de JJS, page 21
Les cinq étoiles du drapeau chinois
Dans notre page précédente, on a évoqué la façon dont une nouvelle « culture » s’approprie les symboles et les mythes antérieurs pour, incidemment, les détourner. Les bannir est souvent impossible, tant ils sont inscrits dans la psyché populaire.
Un exemple illustre bien cette stratégie, celle du drapeau chinois.
On le connaît bien avec son rouge flamboyant, symbolisant la révolution et ses cinq étoiles. Mais est-ce si inédit, au moment où la « nouvelle Chine » veut effacer les traces d’un régime combattu ?
On sait que le Cinq est un nombre essentiel dans l’organisation du monde selon la conception chinoise ( voir la page 2 de nos carnets). Le Cinq est vu selon la configuration d’une face de dé : quatre points aux quatre coins d’un carré, un point au milieu. Celui-ci est différent, non seulement par sa place distincte, mais en tant que centre de l’ « arrangement » (je reprends la belle formule de Marcel Granet). Tout comme l’Invariable Milieu dont tout est issu, l’Empereur se tient au centre de son empire, et règne sur toutes choses.
Alors la nouvelle Chine va hiérarchiser elle aussi les cinq étoiles. Mais plus d’empereur, c’est le Parti communiste qui est prépondérant et régit toutes choses. On va « écarter » les quatre autres étoiles pour laisser la place la plus à gauche à la grande étoile, celle du parti. Les quatre autres symboliseront les quatre classes sociales définies par Mao : les prolétaires, les paysans, la petite bourgeoisie collaboratrice et les capitalistes patriotes.
Le tour est joué, les conceptions nouvelles se sont glissées dans le symbolisme antérieur. On a gardé les étoiles, car le ciel est éternel et appartient à tous, mais on a remplacé la couleur jaune, celle de l’empire, de la terre ancestrale par la couleur rouge. C’est celle des murs impériaux dont le peuple a pris le contrôle, c’est celle du bonheur et de la bonne fortune…et c’est celle de la révolution, ça tombe bien.
Il ne reste plus qu’à planter le drapeau le jour de la fondation de la république populaire, le 1er octobre 1949, au centre de la Chine, c’est-à-dire sur la place Tien An Men.
Et plus tard, on accrochera le portrait de Mao au rétroviseur des taxis puis des voitures particulières, en compagnie de Confucius, Bouddha et Lao Tseu. En tout temps, on a bien besoin de mascottes protectrices, non ?
JJ Sagot
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