Göbekli Tepe (2), ets de JJS, page 35

les carnets de JJS, page 35

Göbekli Tepe (2)

Reprenons… il y a 14 millénaires, au Proche Orient commence une révolution dans les communautés humaines. Celle-ci s’étale sur des siècles et des siècles. On a vu qu’il y a autant d’écart entre le temple de Göbekli Tepe et les pyramides qu’entre ces mêmes pyramides et notre époque contemporaine, c’est dire! Les historiens jusqu’ici ont expliqué cette révolution néolithique par un changement de la production de nourriture (de la chasse/cueillette à l’agriculture/élevage). Ce serait la raison du changement de rapport au monde dans la psyché humaine, et alors la naissance des cultes et élévation de monuments sacrés. Mais de plus en plus de préhistoriens, à la suite de Jacques Cauvin*, prennent distance avec l’angle économique. Ce serait plutôt une évolution de la psyché humaine, des formes symboliques qui lui sont associées, qui aurait entraîné les évolutions économiques. L’abondance et la diversité des représentations symboliques à Göbekli Tepe le révèlent. Si le niveau le plus récent atteste d’une activité agricole et sédentaire, le niveau le plus profond (donc le plus ancien) révélé par les fouilles découvre un site entièrement dédié à des activités cérémonielles dans un espace architecturalement très élaboré (murs et piliers , enceintes rondes de 30 mètres de diamètre, pierres de 15 tonnes… la plupart décorées de bas et haut reliefs. Des centaines de représentations animales, très élaborées. Les hommes de ce temps étaient des architectes, des maîtres d’œuvres, des artistes, des ingénieurs. Comment ne pas être convaincu que leur pensée symbolique était très évoluée ?  

 Quels animaux ? un foisonnement : rapaces, scorpions, araignées, gazelles, bovidés. Les plus nombreux : des serpents et des grues ! Adeptes des arts corporels chinois, vous avez bien lu : des serpents et des grues, à des siècles et des siècles et à des lieues et des lieues de Zhang Sanfeng et sa description du combat mythique du serpent et de l’oiseau à l’origine de nos arts.

Et puis des sangliers et des renards (comme dans mon jardin). Comme à Chauvet et les grottes ornées de nos contrées, les espèces sculptées (ou peintes) ne sont pas des espèces chassées, ni même les plus abondantes dans l’espace habituel de nos aïeux. Alors ? Alors ces représentations n’étaient pas à visée « artistique » , mais plutôt, très certainement à vocation cultuelle. Et le rapport au monde ritualisé passait par l’inscription de l’homme dans le monde animal (je renvoie à Philippe Descola et aux pages de carnets associées), pour un dépassement transcendant… c’est probable, même si nos concepts contemporains sont peu adaptés pour l’envisager.

Les découvertes dans le site de Göbekli Tepe montrent sans ambiguïté la richesse et la diversité du monde spirituel des hommes de ces temps anciens. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais les chercheurs et leurs publications au CNRS.

De mon côté, je ne peux m’empêcher, là aussi comme à Lascaux, de penser que ces hommes, en plus d’être architectes et artistes, étaient des musiciens et des danseurs et que leurs danses rituelles imitaient aussi les animaux, pour des incarnations de type chamanique, ou pour une transmission d’un rapport sacralisé au monde, à partir de leur techniques corporelles de chasse ou de combat…comme le taichichuan.

Notre évocation se poursuivra, dans une page de carnet ultérieure, avec le rapport de la grue et du serpent, c’est incontournable.

JJ Sagot

Un beau sanglier bien féroce

Une danse sacrée, non ?

*Jean Cauvin Naissance des divinités, naissance de l’agriculture, CNRS Editions 2013

Klaus Schmidt Le premier Temple , Göbekli Tepe CNRS Editions 2015

Aline Tenu, Chargée de recherche au CNRS, article dans Histoire et civilisations 2018

Illustrations extraites de l’article d’Aline Tenu.