les carnets de JJS, page 9
La Fille de Jade, la tisserande
Aborder avec la Fille de Jade le symbolisme du tissage, c’est soulever un pan du symbolisme universel. L’étymologie nous aiguille en nous guidant dans les liens philologiques.
Le fil, en sanskrit, se dit sûtra. Au pluriel, l’assemblage de fils, de sûtras, c’est la chaîne d’un tissu, mais c’est aussi, par métonymie, le livre. Comme le livre était le recueil des textes sacrés, les sûtras ont gardé cette connotation.
Par exemple, les Yoga Sûtras contiennent l’intégralité des fondamentaux de cette discipline et de la voie spirituelle qu’elle contient ; le Kâma-Sûtra est le Livre de l’Amour. Quant aux sûtras de la tradition bouddhiste, il s’agit tout simplement des paroles du Bouddha.
En arabe, le terme qui qualifie la même notion est sura, au pluriel Sūrat, c’est-à-dire les sourates. Les chapitres du Coran sont aussi, ontologiquement, des rangées, rangées de fils parallèles, rangées de pierres.
Rêvons aux alignements de nos pierres muettes à Carnac ou sur le Mont Lozère. Et notre mot français contemporain suture qui signifie assembler en reliant par un fil, c’est-à-dire coudre, vient du latin sutura recouvrant la même acception.
En extrême orient, on a le sinogramme Jing (King), articulé à partir de la clé d’écriture fil, de même sens que sûtra, et qui signifie Livre classique, Canon : les plus célèbres sont le Yi jing (Yi King) ou le Dao De Jing (Tao Tö King).
Toujours dans la tradition hindoue, on retiendra l’image des cheveux de Shiva qui constituent les fils du monde, en analogie avec le symbolisme de la toile d’araignée.
Les fils de chaîne, sur tout métier à tisser sont ceux qui sont tendus au préalable. La plupart du temps verticaux, ils représentent la liaison immuable, principielle, entre le Ciel et la Terre, le Zénith et le Nadir, comme autant de démultiplications de l’axis mundi.
Les fils de trame sont ceux qui sont dévidés de la navette. Horizontaux, ils sont l’expression du mouvement, mouvement de va et vient, de souffle alterné, ils représentent l’expression de la contingence, de la matérialisation, mais aussi du changement perpétuel, principe fondamental de toute manifestation, de toute existence, donc de la condition humaine.
Le Yi Jing évoque l’alternance du Yin et du Yang comme « le va et vient de la navette sur le métier à tisser cosmique ». On remarquera au passage que chaque intersection des fils de trame et de chaîne est à l’équerre et que chacune trace une croix dont on peut percevoir ici un des aspects fondamentaux de la signification ésotérique.
Notons le parallélisme entre le symbolisme du « va et vient de la navette sur le métier à tisser cosmique » et le symbolisme du soleil et de la lune, lumière directe et lumière réfléchie, rayon lumineux et plan de réflexion.
Jean-Jacques Sagot
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