les carnets de JJS, page 2
La symbolique du Nombre Cinq (1)
Dans l’élaboration de la « Nouvelle méthode » du Jeu des Cinq Animaux, le choix de cinq animaux parmi la pléiade d’animaux qui constellent le vaste ensemble mythologique de la civilisation chinoise n’est pas le fruit d’un hasard, ni d’une juxtaposition aléatoire d’animaux préférentiels. Le choix du nombre Cinq est même préalable à la désignation des animaux. Il s’insère dans un cadre bien plus global où symbolisme, géométrie, vision du monde se répondent depuis des temps antérieurs à l’écriture. Ce cadre structure particulièrement la pensée chinoise, non seulement dans son architecture confucéenne, mais dans la plupart de ses courants de pensée, même dans le taoïsme qui est souvent perçu plutôt comme « anarchisant ». La conception des nombres dans la pensée chinoise est bien différente de la nôtre. Les nombres, en Occident, cherchent à classer, séparer, alors qu’en Chine (ancienne), ils servent à regrouper, arranger, harmoniser. « Les Chinois ont donné le nom de Nombres à des signes cycliques conçus pour désigner non pas des rangs mais des sites et capables d’évoquer des arrangements plutôt que des totaux. »[1]
Il faut alors considérer le nombre Cinq sous cet aspect. Dans l’ensemble des neuf chiffres de l’« arrangement » décimal, le Cinq représente lui-même le centre. « Placé au milieu des neuf premiers nombres, 5 s’impose comme le symbole du centre… les signes voisins, échappant à leur formation linéaire, se répartissent l’Espace et revêtent à leur tour des attributions spatiales. »[2].
De l’histoire de l’Ancienne Chine, on connaît le Hong fan comme le plus vieil essai de philosophie[3]. En prologue à ce traité, on trouve ce récit :
« C'est de façon mystérieuse que le Ciel fixe aux hommes d'ici-bas les domaines où les uns et les autres vivront en harmonie ! Et moi, je ne sais rien de l'ordre qui régit les rapports réguliers entre les êtres – Jadis, Gun fit obstacle aux Grandes Eaux et jeta le trouble dans les cinq éléments ; le souverain, frémissant de colère, ne lui ayant pas délivré les neuf sections du Hong fan, les rapports réguliers entre les êtres se pervertirent… (Après la mort de Gun), le Ciel délivra à Yu les neuf sections du Hong fan et les rapports réguliers des êtres retrouvèrent leur ordre. »[4]
On voit dans ce récit l’importance du cinq et du neuf.
Yu le Grand, cité ici, avait ainsi « quadrillé » l’espace en neuf sections :
On notera l’équilibre général de cette répartition, de cet ordonnancement, la somme de chaque ligne (verticale, horizontale et diagonale) faisant toujours quinze. Et, c’est le nombre Cinq, au milieu, qui assure équilibre et harmonie. Si on étudie un peu plus ce diagramme, on remarque qu’en reliant les chiffres pairs (considérés comme yin), on forme un carré stable, reposant sur un côté, alors qu’en reliant les chiffres impairs (considérés comme yang) on forme un carré reposant sur une pointe, ce qu’on appelle un carré « animé ». Aux chiffres pairs la stabilité, aux chiffres impairs la dynamique. On remarque aussi que la somme totale des neuf chiffres est de 45, ce qui correspond au produit de 9 par 5.
Enfin, si on remplace le 5 par le symbole du yin-yang et les huit nombres périphériques par les trigrammes du Yi Jing, on a l’équivalent circulaire « céleste » du diagramme carré « terrestre ».
Évidemment, le palais impérial, le Ming tang, avait exactement cette architecture, comme l’Empire lui-même et l’Empereur siégeant au centre de huit salles périphériques avait une légitimité « céleste »[5].
On voit donc que le nombre Cinq est l’équivalent du couple yin-yang, en ce sens que, placé au milieu de toutes choses (terrestres), il n’est en rien statique, mais au contraire le « moteur central » autour duquel tout est activé.
JJS 2024
[1] Marcel Granet, La pensée chinoise p. 135.
[2] Ibid. p. 138.
[3] La tradition date son origine du deuxième millénaire avant notre ère, mais les historiens modernes l’ont ramenée au VIè siècle avant notre ère.
[4] Traduction in Encyclopedia Universalis.
[5] La Chine, elle-même, se situe au milieu du monde, comme son nom l’indique : 中国, zhongguo, l’Empire du Milieu.
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