les carnets de JJS, page 31
La Carte de la Culture de la Perfection (1)
J’avais évoqué dans une page précédente des carnets cette carte énigmatique et me devais de développer des commentaires à son sujet.
Mon intérêt pour la Chine dans les années 70 ne se tournait pas du côté des laudateurs de Mao qui occupaient le terrain du progressisme et de la libération des peuples en brandissant un petit livre rouge. J’avais entre les mains un petit fascicule de Max Kaltenmark publié en 1965, « Lao-Tseu et le taoïsme ». Les ouvrages sur ce sujet étaient plus que rares et ouvraient une porte sur une philosophie qui troublait les jeunes esprits avides d’autres voies. Ayant débarqué en 1969 à l’Institut d’éducation physique de Bordeaux par la voie sportive, j’eus la chance d’avoir comme professeurs d’authentiques anticonformistes. André Menaut pulvérisa nos représentations des sports collectifs et Raymond Murcia, adepte d’aïkido et d’eutonie, inventeur du kinomichi avec son maître et ami japonais Masamichi Noro, nous guida vers la voie du Zen. Il posa sur nos genoux le petit livre d’Herrigel « Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc » publié en 1948. Evidemment, ils ont bigrement influencé le cours de ma vie.

Ces livres ne m’ont jamais quitté, même si, aujourd’hui, ils sont passablement étouffés dans ma bibliothèque par l’abondante littérature produite sur ces sujets depuis lors. J’eu la chance, par la suite, de nouer amitié avec Catherine Despeux et Michèle Roldes. Catherine m’apprit que c’est Kaltenmark qui changea sa propre vie puisqu’en tant que directeur de thèse, il l’orienta vers l’étude du taichichuan. Sa thèse fut ensuite publiée chez Trédaniel sous le titre « Taijiquan, art martial, art de longue vie » et reste LA référence depuis 1981. Michèle, pionnière du taichichuan en France, dont la vie est un vrai roman, a passé plusieurs années au Japon dans les années 70 et a côtoyé les maîtres du Zen dont Deshimaru, parrain de ses enfants. Autant dire qu’aux premières loges, j’ouvris en grand mes oreilles.
Et puis, on ouvrait le petit livre jaune du Yi King (traduit de l’allemand par R. Wilhelm), les livres de C.G.Jung, dont un « Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or » , traduit en 1979 également par E. Perrot, qui marque le tournant dans l’œuvre du chercheur zurichois vers l’étude de l’alchimie taoïste. On avait entendu parler d’un alchimiste de l’époque Tang, nommé Lü Tung-pin, et de sa « Doctrine de l’élixir ».
On le découvre en 1982, dans un petit opuscule en anglais, de la plume de R.B. Jefferson, intitulé, « La doctrine de l’élixir, doctrine du soufre mercurique d’or, le feu du chemin de l’unité ». Le sujet est l’étude détaillée d’un « diagramme », d’une carte du corps humain selon la conception de l’alchimie taoïste. Je m’empresse alors de le traduire et de l’étudier. J’y rencontre, bien avant de les retrouver dans la pratique du taichichuan, la Grande Ourse, la Fille de Jade, le Bouvier et la Tisserande, le tailleur de pierre, les neuf pies, etc. J’apprends que cette carte est une lithogravure provenant d’une tablette en pierre trouvée au Monastère des Nuages Blancs, monastère taoïste à deux pas de Pékin.
1986, mon premier voyage en Chine. Pékin, et je me dirige vers le monastère. Il n’est plus à deux pas de Pékin, mais déjà englobé par la mégalopole, préservé par miracle de la révolution culturelle. Je cherche la tablette, me renseigne (pas de tourisme en ce temps-là) et je découvre dans le jardin, en arrière des bâtiments, plantée là, une dalle noire, un peu comme un menhir, mais bien lisse, et présentant sur toute une face la gravure, en creux, de la fameuse carte. Il suffit d’une grande feuille de papier de riz, d’un fusain et, en tendant la feuille à même la dalle, de frotter le fusain pour avoir l’authentique dessin, grandeur nature.
Je l’ai perdu sur le trajet retour dans le Transsibérien me ramenant de Pékin à Moscou, qu’importe!
Plus tard, Catherine Despeux me détaillera l’histoire de ce croquis et de sa version peinte qu’elle commentera dans son ouvrage de 2012 : « Taoïsme et connaissance de soi ».
On prend le temps d’en parler au prochain épisode.
JJ Sagot
*Photo de l’auteur Pékin 1986
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