les carnets de JJS, page 17
La fabuleuse histoire de l’ours (3)
Un culte ?
Alors, y avait-il un « culte de l’ours » ?
Cette question alimente des débats passionnés entre préhistoriens aux thèses contraires. Le « pape » de la préhistoire André Leroi-Gourhan a lui-même changé d’avis plusieurs fois.
Evidemment, le terme de « culte » est inapproprié, anachronique. Tout comme, d’ailleurs, le terme de « chamanisme » lorsque la science préhistorique ou l’imagination se projettent à rebours dans les limbes de l’histoire de l’humanité. Cependant, les traces miraculeusement rescapées de 30 à 80 millénaires sont intrigantes. Une des découvertes les plus récentes (1994), celle de la grotte Chauvet met à mal les assertions antérieures. On nous présentait, dans les traités de préhistoire ou dans les premiers chapitres de l’histoire de l’art, les tracés et gravures des arts rupestres dans une « progression » qui, d’ ex nihilo tendaient vers des représentations de plus en plus affinées, comme les premiers balbutiements infantiles tendant vers une pensée et un langage de plus en plus structurés.
Mais les fresques de Chauvet mettent à mal cette conception. Plus de 30 millénaires avant notre ère, les « artistes » (là aussi, le terme est inapproprié) manient des techniques variées et expertes pour figurer un splendide bestiaire, en jouant avec les creux et les bosses des parois, jusqu’à donner l’idée d’une perspective. Et là, au beau milieu de cette constellation animalière, une douzaine d’ours, puissants et majestueux, tracés avec maîtrise et précision, tant dans la forme que la couleur.
Et au centre de la « salle du crâne », posé là, un crâne d’ours entouré de dizaines de crânes semblables. Difficile d’affirmer que cet assemblage soit le fait du hasard, difficile aussi de dater précisément cet « arrangement ». Pour l’instant, on en reste là, suspendus entre les petits pas des recherches scientifiques et la verve de l’imagination.
Oui, ça « sent l’ours » à Chauvet comme il est écrit dans l’ouvrage La grotte Chauvet, l’art des origines , paru en 2001.
Alors, quand on prend conscience que ces découvertes toutes récentes de grottes ornées tiennent du miracle, au regard de l’évidente disparition de la grande majorité d’entre elles, on se doute qu’il sera difficile d’avoir une idée bien certaine de la fonction de ces lieux, de la diversité de la psyché des peuples d’autrefois, et de leur rapport au monde.
Mais soyons néanmoins certains qu’entre l’homme et l’ours se tisse depuis ces temps reculés un lien particulier dont nous avons encore trace dans notre vie contemporaine.
Ne serait-ce que dans le nom de la grandiose constellation dont nous avons emprunté le patronyme pour baptiser notre association.
Le fil de nos réflexions se poursuit dans notre feuilleton « La fabuleuse histoire de l’ours » en interrogeant l’anthropologie contemporaine.
JJ Sagot
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