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Jean-Jacques Sagot

La fabuleuse histoire de l’ours (4) Anthropologies , les carnets de JJS, page 18

Dernière mise à jour : 23 nov.

les carnets de JJS, page 18

 

La fabuleuse histoire de l’ours (4)

Anthropologies

 

             

On peut envisager un culte de l’Ours en l’attribuant à bon compte au domaine du chamanisme. Mais ce terme regroupe des acceptions bien au-delà de son fondement réel. On peut d’ailleurs s’interroger sur le nombre de chamanes autoproclamé(e)s qui abondent dans le monde contemporain entre esbroufe et charlatanisme. Si nous souhaitons étudier sérieusement le chamanisme, ouvrons l’ouvrage capital de Mircea Eliade « Le chamanisme » aux Editions Payot.



Pour mieux comprendre ce domaine dont nous sommes historiquement et géographiquement éloignés, écoutons le cours magistral de Philippe Descola au Collège de France. Philippe Descola y a occupé la chaire d’anthropologie pendant vingt ans. Son œuvre et son influence sont majeures dans la sphère des sciences sociales. Ses deux ouvrages essentiels sont Par-delà nature et culture (2005) et Les formes du visible (2021) .

Pour avoir une grille de compréhension des cultures humaines, il les classe en quatre grandes familles d’ontologie, l’ontologie étant philosophiquement le rapport à l’être. Il distingue donc :


1.     L’ontologie naturaliste où les humains et les non-humains sont identiques par leur corps, leur physicalité, mais diffèrent par leur intériorité. C’est le propre de la civilisation occidentale où l’on considère que les humains seuls sont dotés d’une âme, disons d’une conscience. Cette façon de voir est récente et proprement occidentale, elle n’existe pas dans les autres sociétés. Selon Philippe Descola, elle fonderait la difficulté que nous avons à appréhender ces autres sociétés.


2.     L’ontologie animiste est inverse : humains et non-humains sont identiques dans la mesure où ils ont tous une âme, mais celles-ci sont enveloppées dans des corps différents. Nombre de sociétés fonctionnent (fonctionnaient) sur ce mode-là. La séparation nature/culture n’y a pas de sens.


3.     L’ontologie totémique où humains et non-humains sont comparables à la fois par le corps et l’intériorité. Ils ont des ancêtres communs, lesquels ne sont ni humains, ni non-humains, mais des « prototypes », ancêtre s’entendant non pas comme précurseur de lignée, mais comme « incubateurs ontologiques » pour une revivification permanente. Dans ces sociétés il y a une identité entre les hommes et "leurs" correspondants non-humains : le clan s'assimile alors à son totem, à la fois à son esprit et à ses attributs physiques. Les non-humains sont ainsi des signes, des témoignages, de la variété humaine.

Pour les anthropologues, il est important de faire la distinction entre animisme et totémisme dans l’étude des sociétés non-occidentales ou non-contemporaines.

4.     L’ontologie analogique où humains et non-humains diffèrent à la fois par le corps et par l’intériorité. Tous les êtres diffèrent, le monde est formé d’une multiplicité d’occurrences et de singularités. L’analogie cherche les principes d’organisation entre éléments disparates. On peut dire que l’analogisme met de l’ordre dans les liens, appariements, ressemblances. C’est le propre de la voie symboliste.

 

Cette courte leçon introductive d’anthropologie, si elle est pour certains difficile d’accès, est impérieuse, à mes yeux, si l’on ne veut pas s’égarer dans des conceptions fumeuses donc incorrectes pour comprendre le rapport entre l’homme et l’animal dans les différentes civilisations (dont la nôtre, d’ailleurs).

Résumons très brièvement : le point de vue naturaliste (le nôtre) considère le vivant comme multiple mais la conscience (ou l’âme) comme unique ( domaine de l’homme) ; le point de vue animiste, à l’opposé, considère que tout ce qui est vivant est animé (c’est-à-dire pourvu d’une « âme » qui a point commun avec toutes les autres) mais endosse des formes physiques différentes ; le point de vue totémique considère que tout vivant est animé, aux formes différentes mais reliées entre elles au point de pouvoir « correspondre ». Le point de vue analogique envisage le vivant comme un puzzle gigantesque dont les parties sont uniques mais pouvant toutes se refléter les unes dans les autres grâce à des voies d’analogies, des agencements symboliques.

 Nous allons voir dans la page suivante comment nous pouvons nous appuyer sur cette introduction pour élaborer un schéma d’analyse des pratiques corporelles chinoises, et en particulier, le Jeu des Cinq Animaux.

 

 

 

JJ Sagot

 

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