Le mythe de Zhang Sanfeng, les carnets de JJS, page 54
- Jean-Jacques Sagot
- il y a 13 heures
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les carnets de JJS, page 54
Le mythe de Zhang Sanfeng
Romulus a fondé Rome d’un tour de charrue, on connaît l’histoire, et même la date précise : 753 avant notre ère. Oui mais Virgile raconte l’épopée d’Enée après la guerre de Troie et son « débarquement » sur la future terre romaine. Cet épisode se situe approximativement à l’époque mycénienne de la Grèce antique, donc au moins 5 siècles avant le tour de charrue. Alors qui a fondé Rome, Romulus ou Enée ?
On a vu que le Romulus du taichichuan est Chen Wang Ting au début de la dynastie Qing. Mais on dit également que le fondateur est plutôt Zhang Sanfeng, 5 siècles auparavant lui aussi. C’est lui en quelque sorte le Enée de notre histoire chinoise.
Peu probable que Enée ait vraiment existé, pas sûr non plus pour Zhang Sanfeng.
On est de plain-pied dans la mythologie, bien sûr.
Si le récit de Virgile est unique, les biographies de Zhang Sanfeng sont multiples. Il aurait vécu sous la dynastie des Song du Sud (soit au 12ème siècle) . Il aurait passé sa vie en ermite sur le mont Wudang. On dit même qu’il vécut ainsi deux cents ans, on le décrit comme de forte stature, avec les signes classiques de longévité, les grandes oreilles et le crâne oblong. La création du taichichuan provient de l’illumination qu’il eut en apercevant le combat d’une pie et d’un serpent, le serpent sortant vainqueur grâce à son agilité et ses contorsions. L’ermite en conclut que la souplesse est supérieure à la rigidité.
Devant ce mythe fondateur, on peut avoir plusieurs attitudes. On peut prendre en compte l’importance du mythe dans la transmission. Celui-ci ne se situe pas dans le temps historique, les personnages qu’il met en scène non plus. Le mythe est là pour camper les images et symboles essentiels d’une tradition. On retiendra en premier lieu du mythe chinois que c’est un ermite, donc un personnage hors du temps et de l’espace qui donne l’impulsion. Sa légitimité n’est pas celle des Hommes mais celle du Ciel. On est là en résonnance avec les formules consacrées : Il était une fois, ou in illo tempore… On retiendra aussi que le message provient de l’observation de la nature et non pas d’un précepte moral ou conceptuel. Et ce message concerne le rapport entre le fixe et le mouvement, entre le continu et le discontinu. Celui-ci est applicable dans nombre de domaines, dont celui de la confrontation. Alors la légitimité du taichichuan prend bien son origine ici.
On peut d’autre part, pour brocarder ceux qui confondent mythe et histoire, qui prennent le Pirée pour un homme*, s’amuser à transposer l’histoire de Zhang Sanfeng en Occident.
Alors suivons le facétieux Pierre Béraud dans son parallèle moqueur* :
« Imaginons qu’au début du 20ème siècle, une école de Boxe Chrétienne, où elle a depuis peu été introduite, tente de légitimer et valoriser son art en se réclamant de figures nationales illustres, afin de se démarquer des écoles concurrentes et de jouer sur la fibre patriotique.
Imaginons que cette école retrace pour cela ses origines en allant chercher ses racines à Abraham, au Christ, à l’Ancien Testament et aux Dix Commandements dans lesquels il est dit « tu ne tueras point ».
Imaginons qu’elle crée une généalogie débutant avec Clovis, passant par Saint Thomas d’Aquin, les expériences mystiques et la connaissance des simples d’Hildegarde de Bingen, par Saint François d’Assise, Jeanne d’Arc, les exercices spirituels d’Ignace de Loyola… Imaginons enfin que dans cette généalogie, il soit dit que Sant Thomas d’Aquin, ayant vécu au 13ème siècle, a aussi enseigné en personne aux premiers pratiquants de Boxe Chrétienne au 19ème siècle… » et Pierre de continuer sur ce mode….
Si l’on fait la transposition Boxe Chrétienne / Boxe du Faîte Suprême*, Abraham/ Empereur Jaune, Jésus/Lao Tseu, Dix Commandements/ Tao tö King, Sain Thomas / Zhang Sanfeng, on peut persifler sur la naïveté de prendre les histoires mythiques pour argent comptant.
Pour ma part, j’insisterai sur le fait qu’entretenir cette confusion nuit à l’apport essentiel du mythe et à sa juste place dans la transmission traditionnelle. Gardons plutôt le vieil ermite à sa juste -et illustre- place !
JJ Sagot
*La Fontaine Le Singe et le Dauphin.
*Boxe du Faîte Suprême est la traduction habituelle de taichichuan










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