Mais qui a inventé le tai chi chuan ? les carnets de JJS, page 53
- Jean-Jacques Sagot
- 13 nov.
- 4 min de lecture
les carnets de JJS, page 53
Mais qui a inventé le tai chi chuan ?
Bien sûr, le format des pages de carnet n’est pas adapté pour répondre à cette question avec les développements nécessaires, généalogies, anecdotes, histoires de source sûre ou empruntées… Nous nous contenterons d’interroger l’histoire officielle, ou plus exactement les histoires officielles non pas pour nous dégager des images d’Epinal et contes à dormir debout mais pour tenter de comprendre en quoi ils sont nécessaires pour faire sciemment la part de la vérité historique et celle du mythe.
Grosso modo l’histoire officielle, telle qu’elle est rapportée dans la plupart des ouvrages et écoles, est celle-ci :
Le tai chi chuan est un art martial né dans le village de Chenjiagou (dans la province du Henan) au sein d’une famille dont Chen est le patronyme*. L’ancêtre-fondateur s’appelait Chen Wang Ting, il vécut quatre-vingt années au beau milieu du 17ème siècle. Difficile de savoir exactement les techniques qui furent les premières mais on peut penser qu’elles regroupaient des techniques à deux et des exercices solo. Il est probable que des séquences solo comportaient un assez grand nombre de postures enchaînées (ce qu’on appelle aujourd’hui formes), la preuve en est que le nom original chang quan signifie tout simplement longue boxe.
Cette longue boxe est restée au chaud (secrète dit-on pour ajouter du mystérieux) dans la famille (le clan) Chen de Chenjiagou jusqu’au milieu du 19ème siècle. Deux siècles ! Un secret resté inviolé pendant deux cents ans, incroyable, non ?
L’explication de la fuite des secrets de la famille Chen se trouve dans la petite histoire du vol commis par le serviteur Yang Luchan regardant les entraînements par un trou de la paroi. A peu près à la même époque, ce serait le membre d’un autre clan, celui de la famille Wu qui aurait bénéficié de l’apprentissage du style d’origine, mais cette fois-ci non pas par dérobade mais grâce à la hiérarchie des familles, la famille Wu étant plus huppée et plus lettrée que la famille Chen. De ce vol et de cette captation est né le début de la division du style originel en plusieurs styles dont les noms sont ceux du patronyme du premier de la branche : Chen Chang Xing le descendant légitime maintint le style Chen en y apportant compléments et raccourcis, Yang Luchan engendra le style Yang et Wu Yuxiang créa le style Wu. Savoir exactement ce qui se passa à Chenjiagou et par extension à Pékin à ce moment-là est difficile car l’histoire diverge selon les auteurs, d’autant plus que peu étaient lettrés (Wu en était un) et que la transmission, même à cette époque, était essentiellement orale.
Il ne faut pas non plus perdre de vue le contexte historique, voire politique. La dynastie régnante n’était pas chinoise mais mandchoue et diffuser des techniques de combat jalousement sauvegardées par des familles chinoises à des officiels militaires ou administratifs pouvait être considéré comme un acte de collaboration.
Arrêtons là notre histoire. Les curieux peuvent consulter les ouvrages référents ou aller sur des sites sérieux.
De notre côté, faisons quelques remarques :
Ce canevas historique n’est pas sans en rappeler d’autres, dont certains éléments sont analogues : un père fondateur, un clan, un secret, une longue généalogie sans faille, une longue période originelle sans altération, un vol, des rivalités entre couches sociales différentes, puis l’éclatement en diverses branches dont chacune revendique être la branche maîtresse et légitime. Pas besoin de fouiller longuement dans la mythologie grecque, l’Ancien Testament ou même l’Histoire de France pour trouver des scénarios similaires.
La légitimité généalogique est essentielle dans les traditions orales : les conteurs africains commencent souvent leurs récits par un rappel de la liste des ancêtres qu’il convient de connaître sans défaut ; on a trace de ce procédé dans l’Ancien Testament où les filiations sont souvent rappelées là aussi en préalable de toute narration. Et l’histoire du taichichuan débute sur le même schéma, étant entendu qu’elle a longtemps été orale avant les premières traces écrites (datant du milieu du 19ème avec Wu Yuxiang).
Il est frappant de constater qu’aujourd’hui encore, et en Occident, malgré la profusion des écrits, sites internet, recherches universitaires, sont véhiculées et même revendiquées des généalogies de même type.
Et ce schéma « générique » ne peut être validé qu’avec la référence à un maître fondateur. Là aussi, les exemples sont innombrables en quelque tradition que ce soit, a fortiori dans le domaine religieux. Le taichichuan n’échappe pas à ce modèle et donc on peut répondre à l’unisson à la question de départ : qui a inventé le taichichuan ?
Va pour le vieux Chen Wang Ting. Il est possible que celui-ci fut un des chefs de la « résistance » à l’occupation mandchoue (rappelons que celle-ci engendra la dernière dynastie, celle des Qing jusqu’à l’avènement de la république au 20ème siècle) et le taichichuan serait alors né dans la quasi clandestinité.*
Donc ce n’est pas Zhang Sanfeng, alors, le fondateur ? me diront certains.
On verra cette question dans la prochaine page de carnet.
JJ Sagot
*Il convient de comprendre le concept de famille au sens large, selon la tradition chinoise (voir par exemple « 100 mots pour comprendre le chinois » par Cyrille Javary).
*Voir Taijiquan art martial, technique de longue vie , de Catherine Despeux.
* L’illustration est une des premières gravures d’art martial chinois. Musée des Arts Martiaux de Shanghai, photo de l’auteur.










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