Les Lois et les Nombres,

les carnets de JJS, page 44

Les Lois et les Nombres

La plupart de nos sources de réflexion sont issues non seulement des grands classiques, mais aussi des travaux de recherche et publications contemporains. Nous avons la chance de partager temps et considération avec des maîtres de la sinologie francophone, et nous sommes ravis d’accueillir leurs publications régulières. Notre ami Laurent Chircop-Reyes nous a livré son essai « Des compagnies caravanières aux arts martiaux », ouvrage indispensable pour comprendre la genèse de nos arts à la fin du XIXème siècle en Chine.

Nous attendons la prochaine publication de Catherine Despeux et avons à disposition aujourd’hui le livre « Les Lois et les Nombres » de Romain Graziani (dont nous avons étudié son ouvrage « L’usage du vide » et qui m’avait honoré de sa préface pour le traité des Cinq Animaux)*.

L’auteur nous engage à repenser notre conception de l’histoire chinoise, comme il l’avait déjà impulsé avec sa remise en question des idées reçues sur l’idéologie confucéenne.

Il nous montre que les « lois » et les « nombres » dans la culture chinoise ne sont que partiellement analogues à ce que nous entendons en Occident : Les lois ne sont pas liées à la simple notion de droit et les nombres ne sont pas réduits à du quantitatif .

Il s’appuie sur les nouvelles découvertes archéologiques, les révisions des traductions des sources traditionnelles dans les domaines des mathématiques, de la divination, des exercices spirituels, des codes pénaux, des fictions poétiques du taoïsme et des arts de la guerre. Il reparcourt le domaine de « l’expérience légiste » et montre comment le processus de dépersonnalisation de l’autorité a mené à « l’Etat total » tout au long de l’emprise des dynasties régnantes.

Ce qui est étonnant dans cet ouvrage, c’est qu’il nous aide à percevoir la Chine actuelle comme en continuité de cette trajectoire, de l’âge du bronze à la société digitale actuelle où la technologie de l’information, de la sécurité et de la surveillance s’appuie sur une identité ancestrale des représentations de l’homme, du cosmos et de l’empire pour y justifier son pouvoir totalitaire.

Ainsi, nous pouvons revisiter notre appréhension de l’Empire du Milieu, de l’antique au contemporain, ce qui nous aide à prendre de la distance avec les images d’Epinal longtemps véhiculées, en particulier dans les arts martiaux et énergétiques.

Il va de soi que j’invite vivement à parcourir cet ouvrage érudit, certes dense et étoffé, ne serait-ce qu’à petites doses.

JJ Sagot

*Romain Graziani, Les Lois et les Nombres, essai sur les ressorts de la culture politique chinoise, Bibliothèque des Histoires , NRF, Editions Gallimard, Paris 2025.