les carnets de JJS, page 27
Chemin faisant avec François & Jean-François
J’emprunte ce titre à l’auteur lui-même . L’auteur est François Jullien, philosophe et sinologue de langue française dont la carrière est prestigieuse et l’œuvre impressionnante. Le titre complet de l’ouvrage est « Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie, réplique à *** ».
Celui-ci s’insère dans une polémique entre spécialistes de la culture chinoise, en particulier avec Jean-François Billeter, autre sinologue fameux qui n’a pas eu peur d’intituler un de ses essais : « Contre François Jullien ».
Sur quoi porte cette polémique (datant d’une vingtaine d’années) et en quoi nous intéresse-t-elle, surtout comme voie d’entrée sur la culture chinoise ?
Selon JF Billeter, F.Jullien présente la culture chinoise comme fondamentalement différente de la culture occidentale. Il poserait un a priori selon lequel ces deux « mondes » sont opposés sur le plan de la pensée. Ainsi, la civilisation chinoise, continue depuis plus de deux mille ans, aurait pour socle constant une « pensée chinoise » sous-tendant un « fonds institutionnel » et justifiant son organisation. Cette conception aurait pour origine les Jésuites du XVIII ème siècle, auteurs d’une « Chine autre » qu’ils tenaient de l’univers mandarinal auquel ils se sont confrontés. Les intellectuels occidentaux de l’époque (Voltaire, Leibnitz…) n’ont pu avoir une lecture critique de cette vision de la Chine impériale, et à leur suite, les sinologues Victor Segalen et Marcel Granet ne se sont pas départis de cette représentation, jusqu’à François Jullien.
Est justifiée ainsi une étude comparative de deux systèmes de pensée dont l’écart permet une vision distanciée de l’une sur l’autre.
Alors on peut opposer avec brio la pensée occidentale de l’être et la pensée chinoise du processus , la recherche de la causalité et de la finalité ici et celle de la régulation et de la cohérence là-bas. F.Jullien développe à longueur d’ouvrages l’idée que la métaphysique chinoise ne va pas à la recherche de la vérité, elle tendrait plutôt vers la recherche de l’harmonie de facteurs opposés (symbolisés par le yin et le yang), y compris dans l’expérience intérieure. Le « Sage » oriental serait alors bien différent du « Saint » occidental, dans la mesure où sa quête est la disponibilité et non pas la vertu.
Cette vision mythifiée imprègne jusqu’à nos jours nombre d’ « amateurs » (au sens premier du terme) de la civilisation chinoise, de ses arts, y compris les arts martiaux.
JF Billeter formule alors une critique historique et politique de cette vision que je pourrais résumer ainsi : ceux qui ont présenté la culture chinoise aux occidentaux (depuis les Jésuites) étaient des lettrés, des mandarins, des fonctionnaires, dont l’insertion dans le système impérial leur imposait une déférence absolue. Ils ont véhiculé l’idée d’un ordre intangible des « choses » dont l’organisation ne pouvait en aucun cas être contestée, ni même « pensée » autrement : philosophie, littérature, organisation sociale, symbolisme et métaphysique, tout est dépendant d’un pouvoir inamovible. L’ « écart » entre Chine et Occident ainsi creusé entretient ce mythe de la Chine différente.
JF Billeter propose, à cet encontre, qu’en inversant le mécanisme, en « posant d’emblée l’expérience humaine », on peut envisager autrement la réalité chinoise et la comprendre à partir d’un « socle commun ». Il proclame alors un « droit d’inventaire ».
Ce n’est pas facile de résumer en quelques mots ce différend et invite le lecteur à découvrir les ouvrages référencés. On y verra la réponse de François (que j’évoquerai dans une autre page de carnet) et les infléchissements de Jean-François (quand il met à contribution et Kant et Tchouang Tseu).
En tous cas, cette polémique nous oblige à prendre du recul par rapport à ce qui nous a été transmis sur la civilisation chinoise, exercer notre esprit critique pour creuser un écart, à notre tour, entre mythe et réalité, en tentant de mettre à leur juste place et l’un et l’autre.
JJ Sagot
Contre François Jullien Editions Allia 2006
Chemin faisant, connaître la Chine, relancer la philosophie, réplique à *** Editions du Seuil 2007

Illustration : Aristote & Confucius
Merci de commencer à rendre compréhensible cette "querelle" entre François et Jean-François...🤗